Les Terres Rares en Afrique : Quels bénéfices potentiels pour les africains ?

L'Afrique émerge aujourd'hui comme un acteur clé dans le paysage global des terres rares, ces métaux stratégiques indispensables à la transition énergétique et à la révolution technologique.

Alors que la demande mondiale devrait quadrupler d'ici 2030 , le continent africain, qui détient environ 30% des réserves mondiales de minéraux critiques , se positionne comme une alternative essentielle à la domination chinoise.

Cet article explore en profondeur les gisements africains de terres rares, les pays détenteurs de ces ressources, les projets d'exploitation en cours et les enjeux économiques et géopolitiques qui en découlent.

 Introduction aux Terres Rares et leur Importance Stratégique

La Chine, l'Europe et les États-Unis se positionnent activement pour sécuriser l'accès aux terres rares africaines, comme en témoigne l'intégration du projet malawite dans la stratégie européenne et le récent accord entre les USA, la RDC et Rwanda. Dans ce contexte quelles sont les marges de manœuvre actuelles des dirigeants africains pour garantir une profitabilité de l'exploitation de ces terres rares pour le continent ?

Les terres rares désignent un groupe de 17 métaux aux propriétés uniques, comprenant le scandium, l'yttrium, et les 15 lanthanides (du lanthane au lutétium) . Contrairement à leur nom, ces éléments ne sont pas réellement rares en termes de disponibilité géologique, mais leur extraction et purification sont complexes et coûteuses, nécessitant des technologies avancées.Ces métaux sont devenus indispensables dans de nombreuses industries de pointe :

- Énergies renouvelables : Néodyme et praséodyme pour les aimants permanents des éoliennes

- Mobilité électrique : Dysprosium et terbium pour les moteurs de véhicules électriques

- Électronique : Europium pour les écrans plats, cérium pour les polissages

- Défense : Yttrium pour les lasers et systèmes de guidage

Avec la Chine contrôlant plus de 70% de la production mondiale , les pays occidentaux cherchent activement à diversifier leurs sources d'approvisionnement, ce qui place l'Afrique sous les projecteurs de la géopolitique des matières premières critiques.

Panorama des Réserves et Projets en Afrique

 1. Malawi : Le Projet Songwe Hill et Au-Delà

Le Malawi émerge comme un acteur prometteur avec le projet Songwe Hill, exploité par Mkango Resources. Selon une étude de faisabilité de 2022, ce gisement pourrait produire 8 425 tonnes de carbonate de terres rares par an pendant 18 ans . Ces ressources alimenteront l'usine de séparation de terres rares de Pulawy en Pologne, intégrée dans la stratégie d'approvisionnement de l'Union européenne .

Un autre projet notable au Malawi est Kangankunde, piloté par Lindian Resources, avec un investissement initial de 40 millions de dollars pour une production prévue dès 2026 .

2. Afrique du Sud : Richesse et Expertise Minières

L'Afrique du Sud abrite plusieurs projets majeurs :

- Phalaborwa : Considéré comme l'un des projets les plus rentables hors Chine, il pourrait produire 1 900 tonnes d'oxydes de terres rares annuellement pendant 16 ans .

- Steenkampskraal : Contient certains des gisements les plus riches en terres rares lourdes au monde.

Le pays bénéficie également d'un accord de 1,8 milliard de rands (environ 100 millions de dollars) entre Novare et ReElement Technologies pour une usine de raffinage et fabrication de batteries .

 3. Angola : Le Projet Longonjo comme Pilier

Le projet Longonjo, piloté par Pensana, a obtenu un prêt de 80 millions de dollars en janvier 2025 . Il devrait répondre à 5% de la demande mondiale en terres rares pour métaux magnétiques, cruciaux pour les éoliennes et véhicules électriques. La production annuelle est estimée à 20 000 tonnes de carbonate mixte de terres rares .

4. Tanzanie : Ngualla et ses Défis Géopolitiques

Le projet Ngualla en Tanzanie, géré par Peak Rare Earths, pourrait produire 16 200 tonnes de concentré de terres rares par an . Cependant, la participation de la société chinoise Shenghe Resources complique les perspectives d'indépendance vis-à-vis de Pékin.

5. Namibie : Lofdal et ses Terres Rares Lourdes

La Namibie se distingue avec le projet Lofdal, l'un des deux seuls gisements de terres rares lourdes de type xénotime en exploitation dans le monde . Un projet pilote a été achevé avec l'Organisation japonaise pour la sécurité des métaux et de l'énergie.

6. Ouganda : Le Potentiel de Makuutu

Le projet Makuutu en Ouganda possède des réserves prouvées de 172,90 millions de tonnes et une durée de vie estimée à 35 ans . Un investissement initial de 120,80 millions de dollars est prévu, bien que le financement reste un défi.

7. Autres Pays Prometteurs

- Mozambique : Développe des projets miniers émergents

- République Démocratique du Congo : Connue pour ses minerais stratégiques comme le cobalt, pourrait révéler des gisements de terres rares

- Algérie : Possède des réserves mais a suspendu leur exploitation pour les préserver

Potentiel d'Exploitation et Projections

Selon Benchmark Mineral Intelligence, l'Afrique pourrait répondre à 9-10% de la demande mondiale d'ici 2029 , avec jusqu'à huit projets majeurs prévus pour la mise en service d'ici là .

Les investissements majeurs se multiplient :

- Injection de 537 millions de dollars par Jeff Bezos et Bill Gates via KoBold Metals

- Proposition de la Banque Africaine de Développement pour une monnaie adossée aux réserves minérales critiques

 Enjeux et Défis

 1. Industrialisation Locale vs Exportation de Matières Brutes

Les États africains remettent de plus en plus en cause le modèle d'exportation brute qui limite les retombées économiques . La Vision Minière Africaine promeut la valorisation locale des minerais pour créer des emplois et des industries manufacturières .

 2. Gouvernance et Droits des Communautés

Les syndicats africains insistent sur :

- L'adhésion aux normes internationales du travail

- La ratification de la Convention 176 sur la sécurité dans les mines (seulement six pays africains l'ont ratifiée)

- Des politiques environnementales, sociales et de gouvernance inclusives

 3. Dépendance Technologique

La plupart des projets africains dépendent encore de technologies étrangères, comme le montre l'accord entre Novare et Réellement Technologies .

4. Concurrence Géopolitique

La Chine, l'Europe et les États-Unis se positionnent activement pour sécuriser l'accès aux terres rares africaines, comme en témoigne l'intégration du projet malawite dans la stratégie européenne et le récent accord entre les USA, la RDC et Rwanda .

Perspectives d'Avenir

L'African Mining Week constitue une plateforme stratégique pour consolider le rôle de l'Afrique dans la chaîne d'approvisionnement mondiale . Si les projets actuels aboutissent, le continent pourrait:

1. Devenir un fournisseur majeur alternatif à la Chine

2. Développer des chaînes de valeur régionales dans la fabrication de batteries et véhicules électriques

3. Stabiliser ses marchés monétaires grâce à des mécanismes comme les Unités de Compte Africaines

Conclusion

L'Afrique se trouve à un tournant stratégique concernant ses terres rares. Avec des réserves substantielles et des projets en développement dans au moins sept pays (Malawi, Afrique du Sud, Angola, Tanzanie, Namibie, Ouganda, Mozambique), le continent a le potentiel de redéfinir le marché global . Cependant, la réalisation de ce potentiel dépendra de sa capacité à :

- Négocier des partenariats équitables

- Développer des capacités locales de transformation

- Mettre en place une gouvernance minière responsable

- Bénéficier véritablement de ses ressources pour son développement industriel

Dans la course mondiale aux métaux stratégiques, l'Afrique a l'opportunité de passer du statut de simple fournisseur de matières premières à celui d'acteur central dans l'économie verte de demain. La manière dont elle gérera cette transition déterminera non seulement son positionnement géoéconomique, mais aussi sa capacité à transformer ses richesses minérales en développement durable pour ses populations.