Afrique : 600 milliards $ nécessaires d’ici 2030 – Qui financera le boom des infrastructures ? Diaspora, dette et grands projets sous la loupe de Prosper Ifèdé ALAGBE, Président du Réseau 2i-Afrique.
Analyse des politiques d'investissements en infrastructures des pays africains, par Prosper Ifèdé ALAGBE, Président du Réseau 2i-Afrique.
NEWS
Prosper Ifèdé ALAGBE
3/27/20255 min read


L’Afrique a besoin d’investir 600 milliards de dollars d’ici 2030 pour combler son déficit infrastructurel, selon la Banque africaine de développement (BAD).
M. Akinwumi Adesina, Président de la BAD, avait récemment déclaré : "Sans la diaspora, l’Afrique ne pourra pas financer ses infrastructures. Mais pour cela, il faut offrir des garanties, pas juste des promesses." Une déclaration qui vient en écho à plusieurs problématiques auxquelles sont confrontés les pays africains, au nombre desquelles, le manque de financements, et des stratégies pays actuellement sources d’une dépendance sans cesse accrue envers la dette publique étrangère et qui soulèvent des risques économiques majeurs.
Dans ce contexte, la diaspora africaine, pourtant dotée d’un poids financier colossal (100 milliards $ de transferts annuels), peine à investir dans les infrastructures. Quels sont les freins ? Les "grands travaux" phares des États sont-ils rentables ? Et quels pays en tirent réellement profit ?
La diaspora africaine : Un acteur-clé malheureusement en retrait
La diaspora africaine envoie chaque année plus de 100 milliards de dollars de transferts vers le continent, soit trois fois l’aide publique au développement. Pourtant, moins de 5% de ces fonds sont dirigés vers des projets d’infrastructures. Quelles sont donc les causes de cet échec ?
Une analyse pertinente fait remarquer plusieurs freins à l’implication de la diaspora africaine dans les investissements en infrastructures :
Manque de canaux d’investissement sécurisés : Les mécanismes pour transformer l’épargne de la diaspora en obligations ou en fonds dédiés aux infrastructures sont quasi inexistants.
Risques perçus : Corruption, instabilité politique et défaut de paiement dissuadent les investisseurs individuels.
Absence d’incitations fiscales : Contrairement à des pays comme l’Inde ou le Liban, peu de gouvernements africains offrent des avantages fiscaux pour les investissements de la diaspora.
Par exemple : Le Nigeria, malgré une diaspora de 20 millions de personnes, n’a levé que 300 millions de USD via des diasporas bonds loin des 20 milliards en USD nécessaires annuellement pour ses infrastructures.
Les risques des stratégies de financement actuelles des infrastructures par les pays africains
Au nombre des risques, le premier reste le piège de la dette.
Les pays africains ont accru leur dette publique de 150% entre 2010 et 2023, selon le FMI. Les infrastructures absorbent une part croissante de ces emprunts, souvent à des taux élevés. Par exemple au Kenya : Le projet de ligne ferroviaire Mombasa-Nairobi (SGR), financé à 90% par la Chine, coûte 3,2 milliards $. Les remboursements engloutissent 30% des recettes fiscales du pays. En Zambie ( En défaut de paiement depuis 2020), 45% de sa dette extérieure est liée à des infrastructures sous-exploitées.
En dehors du piège de la dette, il faut noter la dépendance croissante aux partenaires étrangers, dont notamment la Chine qui finance 30% des infrastructures africaines, via des prêts gagés sur les ressources naturelles (pétrole, mines). Ces accords, opaques, peuvent dans certains cas créer de véritables déséquilibres, comme en Angola où 70% de exportations de pétrole servent à rembourser des bailleurs étrangers, limitant les fonds pour les hôpitaux ou écoles.
Au regard de cette situation, il s’avère important de s’interroger sur la pertinence des grands projets.
Les "grands projets" africains : Pertinence et impact économique
Dans la politique des grands travaux, tous les pays africains ne sont pas logés à la même enseigne. Les réussites sont très inégales. Certains mégaprojets stimulent effectivement les économies , mais d’autres aboutissent surtout à ce qu’on a l’habitude de signer par le terme « éléphants blancs ». A propos des « éléphants blancs », Carlos Lopes, Économiste, ancien secrétaire exécutif de la CEA déclarait ceci : "Les éléphants blancs sont le cancer du développement africain."
Au titre des grands travaux d’infrastructures classables dans la catégorie des réussites, on peut citer :
Le barrage de la Renaissance en Éthiopie : Coût de 5 milliards $, il devrait doubler la production électrique du pays et permettre d’ exporter de l’énergie Ethiopienne vers le Soudan et le Kenya.
La ligne ferroviaire Addis-Abeba-Djibouti : qui a permis de réduire le temps de transport de 3 jours à 12 heures entre les deux villes, boostant les exportations éthiopiennes, notamment.
Le corridor de croissance de Lobito (Angola-Zambie-RDC), soutenu par les États-Unis et l’UE, pourrait générer 2 millions d’emplois d’ici 2035.
Le port de Doraleh (Djibouti) a augmenté de 25% le commerce intra-africain depuis 2020 et devrait profiter de La ZLECAf qui dépend à 70% de routes et ports
À contrario, au titre des grands échecs, le projet de l’Aéroport international de Mozambique : Coût de 200 millions $, qui est sous-utilisé (10% de sa capacité), faute de trafic aérien reste une des grandes références négatives en matière de projet d’infrastructures sur le continent.
Quels pays africains bénéficient donc réellement des "grands travaux" d’infrastructures ?
Suivant notre analyse, dans le Top 5 des pays modèles en termes de projets d’infrastructures utiles économiquement, on pourrait citer :
· Le Rwanda qui Investit 30% de son budget dans les infrastructures avec comme résultat, 80% de la population qui a accès à l’électricité (contre 10% en 2000). Le Rwanda développe également son Projet phare : Kigali Innovation City (1,5 milliard $), un hub technologique attirant Google et Amazon.
· Le Maroc qui avec le Port Tanger-Med, 2ème plus grand port d’Afrique, génère 7 milliards $ de revenus annuels. Ce pays a également investit dans une Ligne TGV Casablanca-Tanger qui a réduit les délais logistiques de 60%.
· Le Sénégal aussi figure dans ce lot, avec l’autoroute à péage Dakar-AIBD qui a diminué les accidents de 40% et dopé le tourisme ; ainsi que la Centrale solaire de Bokhol qui alimente en énergie 160 000 foyers.
· L’Éthiopie qui en plus de son célèbre barrage de la renaissance, a investit dans des parcs industrieux (textile, agroalimentaire) qui contribuent à 10% du PIB, grâce aux infrastructures énergétiques.
· La Côte d’Ivoire avec l’investissement dans le barrage de Soubré qui fournit 10% de l’électricité nationale et exporte vers le Ghana.
Quelles Solutions pour un financement durable et stable des infrastructures africaines
À notre humble, les pays africains gagneraient à une meilleure mobilisation de la diaspora africaine, notamment via le développement d’ « infrastructure Bonds » adressés à la diaspora africaine et qui pourraient être garantis par des banques multilatérales africaines comme la BAB, la BOAD, la BIDC. En dehors des « infrastructure bonds », des partenariats public-privé (PPP) doivent être renforcés pour les projets industriels portés par la diaspora africaine comme le modèle réussi au Sénégal avec la centrale éolienne de Taiba Ndiaye (158 MW, 200 millions $ d’investissements privés). Cependant aucune réussite dans ce domaine ne peut être espérée si les gouvernements africains ne tournent pas le dos aux dettes odieuses en privilégiant une orientation des dettes publiques vers des projets à forte rentabilité socio-économique.
En conclusion, Le déficit infrastructurel africain ne sera comblé que par un équilibre entre financements innovants, implication de la diaspora et rigueur budgétaire. Si des pays comme le Rwanda ou le Maroc montrent la voie, d’autres doivent éviter les projets « prestige » au profit d’infrastructures intégrées et durables. La question reste entière : l’Afrique parviendra-t-elle à éviter le piège de la dette tout en électrifiant, connectant et industrialisant son économie ?
Réseau 2i-Afrique
Stimuler l'industrialisation en Afrique durablement.
CoNTACT SIEGE SENEGAL
+221-76 476 31 72
© 2024. All rights reserved.
+221-75 855 50 51